- Eziiiiiiiiin !La femme qui déboule dans la rue et qui hurle mon prénom à en rendre sourd un vieillard ; oui, cette femme aux cheveux auburn nattés, aux yeux noisettes, au visage bronzé parcheminé de rides, oui, cette femme là, est ma mère. Malheureusement. Enfin non, pas si malheureusement que ça d'accord. Je dramatise. Elle devait être belle étant plus jeune, enfin, comme toutes les femmes jeunes soit dit en passant. Mais... maintenant que la cinquantaine froisse sa peau et qu'elle commence à l'abonner aux sautes d'humeur, elle n'a plus le charme de ses vingt ans. Enfin ! Je critique, je critique… il s'agit quand même de ma mère ! Sauf qu'encore une fois, elle vient m'interrompre dans mon... occupation. Et lui dire que cela me contrarie, et ce pour la trois-centième fois (au moins) de ma courte existence, ne changerait rien. Elle aime toujours particulièrement m'interrompre. Je la soupçonne même de s'occuper en m'embêtant ! Quoi ? J'exagère ? Jamais voyons ! Vous avez oublié ce que c'est d'être jeune alors...
- Eziiiiiiiiiiiiiiin !Deuxième appel. A ce moment là, le vieillard commence à avoir mal aux oreilles. Mais je suis fidèle à ma parole. Je ne réponds jamais avant le troisième appel. C'est comme ça. Histoire de lui faire comprendre que je ne suis pas à sa merci, que ce n'est pas à elle de décider, ni faire ma vie. A ce moment là, je fais toujours croire que je suis partie. Loin, ailleurs. A vagabonder dans la ville. Je sais qu'elle a horreur de l'idée que je me sois éclipsée. Normal. Oh... sa pauvre petite fille unique a disparu... comme c'est malheureux. En fait, comme d'habitude, je ne suis pas bien loin. Je suis au dessus d'elle. Sur le toit de la maison. Et je contemple le paysage de toits sur lesquels le soleil se couche. A plusieurs quartiers de là, j’aperçois une des tours blanches du palais impérial accrochant les rayons rougeoyants du soleil en déclin. Je plisse les yeux. La lumière qui ricoche sur les dômes dorés m'aveugle mais pour rien au monde je ne voudrais rater ce coucher de soleil...
- Eziiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !Surtout pas pour ça...
Troisième appel. Ma mère s'époumone dans la rue. Une voisine ouvre la fenêtre et lui demande de se taire. Ma mère lui répond une insulte et continue de me chercher. Je pousse un soupir las. C'est toujours la même scène. Toujours au même moment. Toujours pour la même raison...
Chaque soir à cette heure ci, quand le soleil se met à décliner derrière l'horizon de toits de la cité, les clairons annoncent la relève de la garde. On entend vibrer les cuivres à l'autre bout de la ville et si, dans les rues, personne ne s'arrête pour écouter ça, moi, je suis obligée d'attendre que ça finisse. J'espère même surprendre un point rouge étincelant sur les murailles, mais la distance est telle que, comme d'habitude, mes attentes sont vaines. Les tons s'accordent, les clairons, les trompettes sonnent, sur les tambours les baguettes roulent, j'imaginerais presque le pas des bottes en acier des soldats dans la cour du palais rythmés le concert. Mais voilà... je suis dans le quartier résidentiel de Midalys, loin, trop loin et je ne peux faire qu'imaginer ce dont je rêve.
- E...- Oui ! Je suis là ! j'aboie, passablement sur les nerfs.
Je viens de descendre du toit en sautant sur un tonneau le long du mur. Ma mère pivote, furieuse, le visage rouge, la mâchoire crispée et doit encore croire que je suis tombée du ciel.
- TOI !Ca va chauffer...
Je soupire de nouveau. Elle n’a même pas commencé que je sais déjà ce qu’elle va dire. Je n’ai que 15 ans, je suis malpolie, mal élevée, effrontée, incorrigible, hautaine et blablablablabla. Mais tout le monde sait que c’est complètement faux ! Je ne suis comme ça qu’avec elle ! Ah et… avec tout ceux qui me tapent sur le système… Donc ça fait… arf… pas mal de monde je l’avoue. Enfin, j’assume ! J’ai horreur des gens trop collants, qui décident quoi faire à ma place, qui veulent me mettre dans un moule, qui disent qu’il faut faire comme tout le monde…
J’attrape quelques brides de ce que ma charmante mère me raconte. « Incapable » (elle doit être entrain de dire que j’en suis une), « j’en ai marre » (pas besoin d’expliquer ce que cela signifie), « pas ma fille » (Sortons les violons), « fais ta vie » (depuis le temps que j’attends ça !).
QUOI ?
- Pardon ? j’articule.
Je ne dois pas bien avoir entendu.
- Tu n’es pas ma fille, il n’est pas dans mes devoirs de t’héberger alors pars. Je ne veux plus te voir.Quoi quoi quoi quoi quoi ? Ce n’est pas comme si j’attendais ça depuis ma naissance mais… ce n’est pas possible que ma mère me dise ça. Ou alors elle est sérieusement atteinte ! Ou…
Elle se penche, ramasse un sac en toile par terre, sur le pas de la porte d’entrée, me le jette dans les bras.
- Qu’est-ce que tu attends ?!Je la regarde, ébahie. Elle n’est pas entrain de faire ça, si ? Elle n’est pas entrain de renier sa fille ? De la mettre dehors ; de me mettre dehors ? C'est impossible ! Je reste là, la bouche ouverte à la regarder. Je n'y crois pas une seule seconde !
Ma mère, elle, se retourne, pousse la porte de la maison, ferme derrière elle. J'entends la clé tourner à deux reprises dans la serrure. Par Telara ! Elle m'a vraiment mise dehors ! Je mets quelques minutes à m'en remettre puis, enfin libre, j'inspire l'air du soir en fermant les yeux et m'enfonce dans les rues sombres.
~ ~ ~
Voilà comment je me suis retrouvée, seule, à quinze ans, à vagabonder dans la cité et vivre de petits boulots.
C'était un soir de printemps, le soleil terminait sa course derrière l'horizon, le vent tiède balayait mes cheveux et moi... sac en toile sur l'épaule, je partais à la découverte du monde. Les rêves sont impossibles, à condition d'oser les tenter. J'avais enfin l'opportunité de les accomplir. Il n'y avait pas plus heureux que moi.
Cependant... j'ai vite déchanté. La vie était loin d'être utopique. J'ai erré quelques semaines, jouissant d'une liberté totale. Je courrais sur les toits, manquais de me rompre le cou, je volais à droite à gauche de quoi me nourrir, je dormais à la belle étoile, je rêvais d'aventures... Puis, mourant presque de faim, j'ai été obligée de trouver un travail. On m'a embauchée dans une taverne où je servais les clients vingt heures par jour, sept jours sur sept et ce pour un salaire de misère qui me permettait tout juste d'acheter un quignon de pain chaque soir. Enfin, j'étais logée sur place, dans le grenier, sur une misérable paillasse, avec une autre fille qui travaillait là.
Elle se faisait appeler June, avait le même âge que moi mais bossait ici depuis déjà deux ans. Elle était orpheline de père et de mère, n'avait ni frères ni sœurs et donc avait, depuis toujours, été forcée de se débrouiller seule. C'est elle qui m'a tout appris : voler avec discrétion, persuader les gens de m'aider, me défendre des hommes bourrés aux mains baladeuses.. et tant d'autres choses encore...
Nous nous sommes tout de suite entendues à merveille. Moi qui étais plutôt solitaire, j'appréciais sa compagnie et très vite nous sommes devenues inséparables. Elle était belle, avait des yeux bleus absolument magnifiques, une voix douce, posée, un sourire sublime...
Ah.. June...
Être avec elle me faisait oublier à quel point ma vie était devenue chaotique. A seize ans, notre patron nous a engagées pour d'autres services, consistant à accompagner des clients fortunés dans les chambres luxueuses du premier étage...
L'enfer a commencé.
Et il n'a cessé que deux ans plus tard quand un homme différent a fait irruption dans la taverne.
* * *
Il ne s’est pas présenté, n’a donné ni nom, ni rien. Il m’a juste interrogée sur le client de la veille, m’a demandé s’il passait régulièrement ici, la somme qu’il payait, s’il avait des contacts avec d’autres personnes qui réclamaient nos services, son nom, son âge, sa description physique. J’ignorais parfaitement à qui je m’adressais mais il semblait que cette personne était importante. Cet homme dégageait quelque chose de rassurant et ce, malgré ses yeux gris pales qui ne cessaient de balayer la pièce d’un air froid. Cependant, je ne savais rien. Je n’étais pas en mesure de répondre à ses questions.
Il portait des vêtements de cuir, souples et sombres. Ses cheveux bruns étaient coupés en brosse et une hideuse balafre sillonnait sa joue. Sillon blafard sur une peau halée. Et pourtant, si tout en lui était repoussant, il y avait quelque chose… d’autre, que j’étais incapable de décrire. Et ce quelque chose d’autre là mettait en confiance. Il m’a pris par le bras, avec douceur, m’a fait m’asseoir à une table, sous le regard désapprobateur du patron. Et là… nous avons conclu un marché. La bourse qu’il venait de poser sur la table serait à moi, si et seulement si j’arrivais à trouver toutes les informations demandées précédemment.
Discrétion.
Rigueur.
Attention.
Trois mots qu’il a gravés dans la table.
Puis sans un bruit il s’est levé, a déposé deux pièces en or devant moi, s’est penché et a sourit en murmurant : « Pour vous motiver et surtout parce que l’Empire vous remercie d’avance. » Il m’a plantée là et moi, je me suis redressée et ai repris le boulot comme je le devais. Il reviendrait le lendemain, dans la soirée, pour faire le point sur ce que j’avais réussi à avoir comme informations, alors dès cette nuit là, je me suis employée à avoir réponses à mes questions. Pas de temps à perdre.
L’homme est revenu trois soirs de suite. Il n’a pas eu besoin de plus pour avoir ce qu’il voulait, en trois jours, j’avais toutes les informations.
Le client en question s’appelait Rickon. Rickon Sith. Il avait vingt-quatre ans, venait ici toutes les nuits à 03h du matin passée. Toujours entre 3h et 4h, jamais avant, jamais après. Il payait les services de June six pièces (et dire que j’aurais payé des centaines moi…), connaissait personnellement Ortz, le tavernier et patron de l’établissement. Il s’agissait d’un grand échalas blond aux cheveux presque rasés et à la peau cireuse. Il avait des yeux vairons, l’un gris, l’autre rubis et un tatouage récent avait été fait sur son torse. Comment June avait décrit ça ? Je ne me souvenais plus… mais apparemment tout ça suffisait. L’homme aux vêtements de cuir a posé la bourse sur la table.
« Au nom de l’Impératrice, jeune fille, voici votre paiement. Il est aussi de mon devoir de vous informer que cette dernière a requis votre présence au palais dès ce soir. »Pardon ? Quoi ? Pourquoi ? L’Impératrice ? Mais…
Je décidais de ne pas bouger de ma chaise. Je ne partirai pas. Je ne voulais pas partir. C’était grâce à June que j’avais su tout ça. C’était à elle que revenait tout, pas à moi. Je lui en ai fais part et il m’a répondu :
« Votre amie sait des choses mais c’est vous qui êtes désormais dans les affaires de l’Empire. Que vous le vouliez ou non, vous devez venir avec moi. »Je l’aimais de moins en moins…
« Si vous refusez vous êtes considérées comme une menace potentielle. Et mon travail consiste à éliminer les menaces. »En résumé, voilà comment je me suis retrouvée à travailler pour le compte de l’Empire. Contrainte et forcée par un sale type qui avait fait irruption dans ma vie un soir dans une fichue taverne. Un sale type que j’avais accepté d’aider et qui… m’avait finalement obligée à travailler avec lui. J’ai alors rencontré l’Impératrice, une fois, puis j’ai été expédiée à la Garde Rouge, ce dont j’avais toujours rêvé. Seulement… adieu les armures lourdes et les grandes épées d’acier, je ne serais pas soldat mais espionne pour la Garde.
Qui aurait cru que le destin pouvait faire prendre ce tournant à une vie ?
Certainement pas moi...
To be continued... in game.
Derrière l’Écran...